La mémoire se libère à l’Université d’Evry

L’émotion était palpable dans l’amphithéâtre ce mercredi 21 février, quand Jenny Plocki et Diogène Ntarindwa se racontent devant l’auditoire. Ils ont partagé avec nous des morceaux de vie, inestimables, noircis par leur expérience des génocides.

C’est grâce à Olivier Le Cour Grandmaison, politologue et maître de conférences à l’Université d’Evry, qui a su réunir Jenny Plocki et Diogène Ntarindwa dans une même salle, et, chacun à sa manière, a partagé son expérience avec les étudiants et le public. Grâce aussi à Maylis Isabelle Bouffartigue, directrice de la Compagnie Monsieur Madame, metteure en scène et actrice également. 

Jenny Plocki, rescapée de la rafle du Vel’d’Hiv le 16/7/1942, aujourd’hui 93 ans, nous a fait l’immense cadeau de venir raconter son histoire. Assise face à la salle comble, elle s’est dite « impressionnée ». Un sourire est passé sur toutes les lèvres, car c’était nous qui étions intimidés par sa présence, sa sincérité et son naturel désarmant, qui émeut parfois aux larmes l’auditoire. Le changement de statut des juifs. L’arrestation de ses parents. Sa vie quand il lui a fallu apprendre à se débrouiller seule, à 16 ans, avec la responsabilité de son jeune frère. Déjà elle était un exemple de courage, suivant sans le savoir les conseils de ses parents : « Vivez et espérez ». A la fin de la guerre, « brusquement tout s’arrête ». Jenny se rend à l’hôtel du Lutetia, qui accueillait alors les déportés à leur retour des camps de concentration. La réalité des camps d’extermination est peu crédible, elle a un mince espoir de retrouver ses parents. « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible », nous dit-elle. Finalement, elle comprend « que personne ne reviendra ». C’est l’ensemble des anecdotes qui rendent son récit si précieux, unique. Mais Jenny ne rapporte pas que ses souvenirs. Elle montre à la salle, envahie d’émotion, l’étoile jaune qu’elle était contrainte de porter, et une lettre de son père, écrite dans le train alors qu’il était emmené avec sa femme à Auschwitz. 

Le public a à peine le temps de se remettre de l’intervention de Jenny, que déjà il est plongé dans l’atmosphère sombre des camps de concentration. La représentation de la lecture d’extraits de L’Espèce humaine commence. L’amphithéâtre devient une scène, plongé dans l’obscurité. Maylis Isabelle Bouffartigue a sélectionné des extraits de L’Espèce humaine, choisis spécialement pour donner une ouverture universelle à l’œuvre de Robert Antelme, auteur lui aussi déporté, qui considère le génocide comme « un moment culminant de l’histoire ». Paru une première fois en 1947 dans l’indifférence, son texte sert à présent à mettre sous la lumière la voix des victimes des génocides.

L’une des voix, c’est celle de l’acteur rwandais Diogène Ntarindwa. Lui a choisi le théâtre pour témoigner sur le génocide Tutsi, dont il a été victime. A l’image de toute une génération, il prend les armes, à 17 ans, contre l’oppression qui pèse sur son peuple Tutsi. Le Rwanda, il l’a découvert une première fois à travers les souvenirs nostalgiques de ses parents, réfugiés au Burundi. La seconde fois, c’était dans le bus qui l’emmenait « au front ». Il ne voit pas « le plus beau pays » que ses parents lui ont décrit, mais un paysage funèbre dans ce contexte de génocide. Malgré l’horreur, il ne déplore pas ce qui a été « le fil conducteur de sa vie ». C’est ce qui a forgé ce qu’il est aujourd’hui : un homme engagé et accompli.

La rencontre exceptionnelle que le public a vécu avec ces deux destins, grâce à un universitaire engagé, fait survivre la mémoire de ceux qui ont été victimes de l’entreprise génocidaire. C’est une mise en garde aussi, car nous savons que maintenant, tout est possible.

 

 

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