Comprendre l’univers des séries en six épisodes

Article de  Professeur Cinéma et Scenario, Université d’Evry – Université Paris-Saclay, publié sur The Conversation France.

 © Global PanoramaCC BY-SA

Comment on déguste une série

Twin Peaks (1990) de Mark Frost et David Lynch, Alias (2001) de J.J. Abrams, 24h Chrono (2001) de Joel Surnow et Robert Cochran ou Homeland (2011) de Howard Gordon ne se dégustent pas à l’épisode. C’est Twin Peaks qui a marqué un tournant majeur séduisant des cinéphiles autour du nom de Lynch et de la qualité de la série qui dénonçait des pratiques douteuses dans des petits univers banlieusards proprets.

On se perd volontiers dans Lost (2004) de Damon Lindelof et J.J. Abrams, Weeds (2005) de Jenji Kohan ou dans Game of Thrones (2011) de David Benioff et de D.B. Weiss. On s’y engouffre par glissade. La consommation de séries ne s’apparente pas au plaisir du cinéphile. La formule hollywoodienne bien huilée avec ses trois actes, ses pivots dramatiques et son point central en attente de la fameuse lutte entre l’antagoniste et le protagoniste sont tour à tour dilués, accélérés, condensés, démultipliés à l’infini dans le processus fragmentaire de la série.

Comment on l’écrit

Leur culmination n’est pas le « climax », ce conflit dramatique majeur mais un cliffhanger, une formule suspendue faite pour développer l’addiction du spectateur impatient de retrouver la saison suivante. Les storytellers à l’origine de ces séries sont des experts de l’écriture feuilletonnante. Ils développent des histoires cohérentes autour d’un arc narratif qui se décline au cours de plusieurs épisodes le temps d’une saison.

Les auteurs de séries doivent s’interroger sur les procédés dramatiques susceptibles de susciter le suspens, décliner une intrigue, accrocher leur public par l’étonnement et l’empathie. L’écriture de série est un art qui demande une grande maîtrise. Des capacités d’anticipation, une vision sur le long terme.

Comment on accroche son public

La culture contemporaine s’est éprise des séries qui permettent de fidéliser une clientèle. Certains pays, comme les pays scandinaves avec The Killing (2007) de SØren Sveistrup, The Bridge (2011) de Björn Stein et Hans Rosenfeldt, Borgen (2010) de Adam Price, préfèrent relancer fréquemment des nouveaux sujets de série plutôt que de décliner des projets séquentiels.

Chaque zone culturelle a développé une étude de marché liée à son public en phase directe ou anticipatoire de l’actualité de terreur, en plongée dans les péplums ou la fantaisie médiévale, c’est le ressort des retournements dramatiques qui maintiennent la main sur le remote. On exploite l’originalité d’un décalage spatial, temporel ou surréaliste : Six Feet Under (2001) de Alan Ball développe une série à fort potentiel comique dans une entreprise de pompe funèbre… On joue sur l’infiltration dans un milieu stimulant : les mafieux des Soprano (1999) de David Chase, les prisonniers de Prison Break (2005) de Paul Scheuring ou les bikers dans Sons of Anarchy (2008) de Kurt Sutter. L’univers est un personnage essentiel de l’histoire. Le milieu crée le plaisir de reconnaissance du spectateur.

La segmentation démographique tient compte des différences. Les auteurs s’adressent à une niche : les anciens dans les télénovellas, les adeptes du rêve américain originel Dallas (1978) de David Jacobs mettant en scène le conflit des Ewing et des Barnes pour le pouvoir et l’argent du pétrole texan, Dynasty (1981) de Esther et Richard Shapiro raconte les aléas d’une riche famille du Colorado, les Carrington.

Comment la série est devenue un genre majeur

Les plus grands réalisateurs Martin Scorsese et Jane Campion ont réalisé des séries à succès : Boardwalk Empire (2010) de Terence Winter inspiré de « Boardwalk Empire : The Birth, High Times and the Corruption of Atlantic City » de Nelson Johnson ainsi que Top of the Lake (2013) de Jane Campion et Richard Lee, une jeune fille de douze ans disparaît dans un lac. La frontière entre le cinéma et le monde des séries se resserre.

corsese vient de réaliser le pilote de la nouvelle série Vinyl (2016) avec Terence Winter sur un producteur de musique dans les années 1970. Les financements vont désormais dans ces programmes récurrents. Une nouvelle culture de « sériephiles » est née en phase avec la soif d’un courant de contre-culture bien intégré dans une société qui sait en polir les formes et la commercialiser.

Les séries ont toujours eu un rôle civique, véhicule d’une pensée éthique, démonstration des potentiels d’intégration et de mixité. Elles donnent une image de la société de l’instant, des thématiques les plus porteuses : torture, amitié, crainte du terrorisme.

Comment le marché s’est structuré

Un contexte d’encadrement et de promotion des séries s’est développé auprès des professionnels et du grand public. « Séries Séries » est un événement dédié aux séries européennes créé à Fontainebleau en juillet 2012 et mis en place par Marie Barraco de la société Kandimari qui a su rassembler les professionnels du métier autour du lancement des nouvelles séries et permet des échanges internationaux sur les nouvelles tendances.

C’est là par exemple qu’on a pu assister en amont à l’arrivée des séries scandinaves. Le phénomène série a acquis ses lettres de noblesse et est célébré désormais chaque année lors de Série Mania au Forum des Images à Paris dans un concept ouvert au grand public : 38 000 spectateurs ont été accueillis cette année.

Ils ont pu faire un tour du monde des séries avec une cinquantaine d’œuvres en avant première et ont récompensé la série australienne The Kettering Incident (2016) de Victoria et Vincent Sheehan sur des disparitions en forêt, la série argentine Grand Prix du Festival El Marginal qui dresse un portrait violent de la société en suivant un ancien policier en infiltration dans une prison du pays et le polar franco-suédois Jour polaire, un thriller autour du meurtre violent d’un citoyen français aux confins de la Laponie.

Comment les jeunes créateurs ont tout changé

Le cinéma des années 70 était l’apanage d’une génération de rebelles qui avait été la première a s’être nourrie de films et avoir étudié le cinéma. Auparavant les réalisateurs venaient du monde de la presse, du théâtre ou des arènes juridiques. Désormais l’essor des séries est lié aussi au fait que les jeunes créateurs ont eux-mêmes été biberonnés aux séries diffusées précédemment.

Parallèlement aux énormes blockbusters américains centrés sur des superhéros, c’est désormais dans le développement de l’écriture de séries que les zones de paroles s’expriment. Ce mode d’écriture permet de définir en profondeur la caractérisation des personnages et d’étudier de façon pointue des milieux sociaux particuliers.

On assiste à une adaptation des plus grands succès israéliens et scandinaves aux États-Unis. Homeland est une adaptation/localisation de Hatufim (2010) de Gideon Raff. Son titre signifie « les enlevés ». Trois soldats israéliens sont capturés pendant une opération au Liban, détenus en Syrie, ils se réintègrent avec difficulté. Dans Homeland, des soupçons de radicalisation portent sur le soldat américain de retour aux États-Unis. The Killing a été transposée aux États-Unis en 2011. Dans la version originale, une jeune fille de 19 ans est retrouvée morte. Le candidat à la mairie de Copenhague est impliqué dans l’affaire.

Et on écrit directement des séries US dans des zones scandinaves. Frank, ancien parrain mafieux italo-américain, tente de revivre sous une nouvelle identité dans l’ancienne ville olympique norvégienne de Lillehammer. Les gens aiment tout particulièrement les psychopathes comme l’expert scientifique médico-légal qui s’arroge le droit d’être un tueur en série Dexter de James Manos Jr. (2006), le héros de la série produite par Clyde Phillips qui présentait cette année à Série Mania, Feed the Beast (2016), sa nouvelle série adaptée de la série danoise Bankerot de Kim Fupz Aakeson (2014), un cocktail mafia et arts de la table.

L’industrie du cinéma favorise désormais les séries. Les cinéastes de longs métrages se tournent vers la direction de séries car ce choix peut s’avérer plus lucratif et donne plus de marge à l’imagination.

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