Un espoir pour la recherche en cancérologie et plus particulièrement pour le traitement des cancers de l'enfant

Une équipe de chercheurs du laboratoire Prédicteurs moléculaires et nouvelles cibles en oncologie (Inserm, Université d'Évry-Paris-Saclay, hôpital Gustave Roussy) a mis en avant de nouvelles protéines cibles dans le cadre du traitement des cancers.

Depuis 2007, les techniques de séquençage de l’ADN à haut débit ont révolutionné la biologie. Ces techniques, en association avec les outils d’« ARN interférence » utilisés pour éteindre sélectivement l’expression d’un gène, ont permis une avancée majeure en génomique fonctionnelle. En effet, elles facilitent les criblages systématiques de « perte de fonction » dudit gène.

Les cribles de létalité synthétique1, un espoir pour la recherche en cancérologie grâce à l'exploitation des dépendances non-oncogéniques.

La comparaison de cellules tumorales et non tumorales (sans altération oncogénique3) permet d’identifier rapidement les gènes dont l’inhibition permet de tuer uniquement les cellules cancéreuses. La présence d’altérations oncogéniques3 qui procurent un avantage aux cellules cancéreuses sont difficiles à cibler de manière systémique. En effet, elles ont un rôle majeur dans le fonctionnement cellulaire normal. Désormais ces comparaisons peuvent être exploitées afin de détruire sélectivement les cellules tumorales.

Soixante-dix-sept molécules candidates permettant d’induire la mort des cellules de cancer colorectal présentant des mutations de l’oncogène RAS ont été identifiées. De même, dans une étude réalisée avec 58 lignées de cancer du poumon, BRM (Brahma), un régulateur épigénétique essentiel à la prolifération des cellules cancéreuses mutées pour BRG1 (Brahma-related gene-1) est apparu comme une cible thérapeutique prometteuse.

Perspectives

Le travail des chercheurs a révélé l’implication de nouvelles protéines, telles que VRK3, dans les gliomes diffus de la ligne médiane (diffuse midline glioma, DMG), la plus sévère des tumeurs cérébrales pédiatriques.

La mise en place de cribles de létalité synthétique peut ainsi permettre de découvrir de nouvelles pistes thérapeutiques dans des cancers contre lesquels les traitements classiques sont très peu efficaces.

Il a été montré que la suppression totale de la protéine VRK3 par knock-out2 du gène correspondant dans des modèles murins entraîne des symptômes similaires à ceux présents dans l’autisme, mais n’altère pas la viabilité des souris. Ce résultat suggère qu’un traitement systémique ciblant VRK3 chez les patients atteints de DMG pourrait ne pas avoir d’effet indésirable majeur sur les tissus sains.

Des études in vivo devront confirmer l’effet bénéfique de l’extinction de VRK3 dans les modèles de xénogreffe tumorale que nous avons développés au laboratoire. De plus, aucun inhibiteur de la protéine VRK3 n’étant disponible à l’heure actuelle, il est logique de s’intéresser aux ligands de cette protéine et aux conséquences moléculaires de la répression de VRK3 dans ces tumeurs afin d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles, dont la manipulation mimerait l’effet anti-tumoral de la répression de VRK3.

Légende de l'image d'illustration

A. Stratégie du crible de létalité synthétique dans les DMG comportant la mutation H3-K27M. Les cellules neurales normales prises comme témoins et les cellules de DMG portant la mutation H3-K27M sont transduites avec une banque de vecteurs lentiviraux recombinants qui codent des shARN ciblant le kinome (i.e., l’ensemble des kinases) humain. Les cellules contenant un shARN sont sélectionnées, puis maintenues en culture. À 22 jours post-infection, l’ADN génomique des cellules est extrait, et les parties codant les shARN sont amplifiées par PCR et identifiées par séquençage à haut débit. Les shARN présentant une réduction significative de la fréquence de leur ADN codant parmi les cellules de DMG H3-K27M récoltées après 22 jours de culture post-infection (en violet), mais pas parmi les cellules témoins, sont sélectionnés. 
B. Effet de la répression de VRK3 sur les cellules de DMG H3-K27M. Cinq jours après introduction d’un shARN ciblant VRK3 (violet), on observe une diminution significative de la prolifération des cellules de DMG, associée à un changement de morphologie et un décollement des cellules, phénotype caractéristique de la mort cellulaire. Ce phénotype n’est en revanche pas observé avec les cellules neurales normales, ni avec les cellules de DMG ne présentant pas de répression de VRK3.

Pour aller plus loin

Le gliome diffus de la ligne médiane, un cancer incurable

Le gliome diffus de la ligne médiane (diffuse midline glioma, DMG), la plus sévère des tumeurs cérébrales pédiatriques, affecte majoritairement des enfants âgés de 5 à 10 ans, qui décèdent dans un délai de deux ans après le diagnostic. Ces tumeurs inopérables du fait de leur localisation dans le tronc cérébral et de leur caractère diffus sont particulièrement résistantes aux traitements, comme démontré in vitro dans un crible chimique incluant 83 médicaments, et aucune chimiothérapie ne s’est avérée efficace dans les nombreux essais cliniques réalisés. La radiothérapie demeure le traitement de référence depuis plus de 50 ans, mais ses effets bénéfiques ne sont que transitoires.

En 2012, une mutation somatique du gène codant l’histone H3 (H3-K27M), un acteur majeur du contrôle épigénétique de l’expression des gènes, a été identifiée comme l’événement initiateur du développement de la tumeur. Cette altération, jamais décrite dans d’autres cancers, entraîne la perte globale de la triméthylation du résidu lysine (en position 27 de l’histone H3) et une dérégulation majeure de l’expression de nombreux gènes, qui produit un contexte favorable à la transformation maligne des cellules.

La substitution K27M est retrouvée majoritairement dans les gènes codant les histones H3.1. Elle pourrait constituer une cible thérapeutique de choix dans cette maladie, mais ne peut être directement ciblée à l’heure actuelle (d’autant que la protéine mutée est dépourvue d’activité enzymatique propre).

Ces cancers présentent peu d’anomalies génétiques additionnelles et aucune de celles trouvées de manière récurrente ne peut être facilement ciblée dans un but thérapeutique. C’est le cas notamment des mutations de TP53 qui code la protéine p53, du fait du rôle central que joue cette protéine dans la réparation de l’ADN et dans le cycle cellulaire. Il est donc primordial d’améliorer la connaissance du mécanisme tumoral dans cette maladie et d’utiliser des approches sans a priori pour découvrir de nouvelles façons de traiter ce cancer encore incurable.

Identification de vulnérabilités dans les DMG

Les chercheurs ont identifié des vulnérabilités des gliomes diffus de la ligne médiane en se focalisant d’abord sur les 672 protéine kinases qui font fréquemment l’objet de thérapies ciblées inhibitrices.

Un crible a été réalisé à l’aide d’une banque de 7 450 lentivirus recombinants, qui s’intègrent dans le génome des cellules hôtes et produisent différents ARN interférents (short-hairpin ARN, shARN), permettant ainsi d’éteindre de manière irréversible les gènes ciblés.

Grâce à ce crible de létalité synthétique1, 41 gènes sont identifiés comme étant nécessaires à la survie des cellules de DMG, parmi lesquels trois font actuellement l’objet d’une étude de l’effet de leur extinction dans des essais cliniques

VRK3, le talon d’achille des DMG

VRK3, codant une sérine/thréonine kinase de la famille des vaccinia-related kinases (VRK), semble intéressante, notamment du fait de ses interactions avec plusieurs protéines impliquées dans l’assemblage de la chromatine. Bien que ses fonctions demeurent assez mal connues, cette protéine a été impliquée dans la progression du cycle cellulaire (notamment dans le cancer du foie), dans la réparation de l’ADN, ou encore dans le développement neuronal.

Aucune mutation de VRK3 ou altération de son expression n’a jusqu’ici été identifiée dans les DMG, ce qui témoigne de l’efficacité d’une approche sans « a priori » pour dévoiler des gènes qu’une approche « classique » n’aurait jamais identifiés comme cibles thérapeutiques potentielles.

L’inhibition de VRK3 a un impact majeur sur la prolifération des cellules malades. 

Retour à la liste d'actualités