Une approche innovante pour suivre l'accumulation des mutations dans les cellules individuelles

Rares, accidentelles ou provoquées, les mutations sont un moteur de l'évolution et ont un impact important sur la santé humaine. Des chercheurs de l'Inra, de l’Université Pierre et Marie Curie, de l’Inserm et de l’Université d'Évry-Val-d'Essonne ont développé une approche innovante qui, en temps réel et à l'échelle des cellules individuelles, permet de caractériser la dynamique d’apparition des mutations spontanées et d’en quantifier les effets. Ces résultats sont publiés le 16 mars 2018 dans la revue Science.

La compréhension de certains mécanismes fondamentaux de la mutagénèse a longtemps été freinée par manque d'outils qui permettraient de travailler à l’échelle des cellules individuelles.

Ainsi, au sein d'une population de cellules d’une même lignée, la variabilité du taux de mutation n'avait jamais été caractérisée alors qu'elle peut avoir des conséquences importantes en termes d’évolution. Elle peut, par exemple, faciliter l'acquisition de combinaison de mutations et ainsi modifier le cours de processus, tels que la virulence bactérienne ou le cancer, qui impliquent de nombreuses mutations dans une même lignée cellulaire. La quantification des effets des mutations était restée limitée jusqu'à présent. L'obstacle majeur était la difficulté à générer une large collection de mutations qui ne soit pas biaisée par l'action de la sélection naturelle - laquelle favorise les mutations bénéfiques au détriment des plus délétères.

Microfluidique et génétique au service de la mutagenèse

Pour étudier la mutagénèse dans toute sa complexité à l'échelle des cellules individuelles, des chercheurs de l'Inra, de l’Université Pierre et Marie Curie, de l’Inserm et de l’Université d'Évry-Val-d'Essonne ont développé une approche innovante et multidisciplinaire.

Celle-ci combine une technique dite microfluidique d’écoulement de liquides dans des canaux de taille micrométrique pour cultiver des cellules bactériennes d’Escherichia coli et une méthode de visualisation des mutations grâce à une protéine du système de réparation des mésappariements de l’ADN. Ils ont ainsi caractérisé la dynamique d'apparition des mutations ponctuelles spontanées et étudié l'impact de divers phénotypes cellulaires sur le taux de mutation. L'évolution du taux de croissance des cellules, reflet de leur santé, a aussi été suivie au cours de l'accumulation d’environ 20 000 mutations spontanées dans des milliers de cellules pendant trois jours soit l’équivalent de quelques 200 générations.

La culture des cellules bactériennes dans le dispositif microfluidique a permis d'éliminer l'effet de la sélection naturelle et des données haut débit ont ainsi pu être obtenues sur un échantillon de mutations spontanées non affecté par la sélection naturelle. Pour la première fois, les scientifiques ont pu estimer, à l’échelle de la cellule bactérienne, les proportions de mutations létales (1%) et non létales (99%) et ont montré que le taux d’apparition des mutations était constant. Les mutations non létales, très majoritaires, ont un effet très faible sur le taux de croissance moyen des cellules (diminution de 0,3%) et sont dites « quasi-neutres ». Cette dernière valeur est, de manière surprenante, nettement inférieure à celles obtenues par d’autres auteurs par des méthodes indirectes. Ceci illustre l’importance de cette nouvelle approche directe à l’échelle des cellules individuelles.

Ces travaux montrent la puissance d'une approche de la mutagénèse à l'échelle des cellules individuelles et fournissent des outils précieux pour ce changement d'échelle. Ils ouvrent ainsi la voie à une nouvelle ère de recherche sur les mutations, abordant à cette échelle un large spectre de questions, de l'élucidation des mécanismes moléculaires de la mutagénèse jusqu'aux conséquences évolutives. Soulignons enfin que le système de réparation des mésappariements de l’ADN est conservé dans de nombreux organismes, de la bactérie à l'homme, suggérant qu'une telle approche serait applicable également chez les cellules eucaryotes.

Au cœur de la technique

Lors de la réplication de l'ADN, l'enzyme responsable de cette étape commet parfois des erreurs. Un nucléotide incorrect est alors incorporé dans le brin d'ADN synthétisé. Il en résulte un mésappariement, c'est-à-dire la présence en vis-à-vis dans la double hélice d’ADN de deux bases non complémentaires. Ce défaut doit être réparé pour éviter la transmission aux générations futures d’une information erronée, c'est-à-dire une mutation.

Le système de réparation des mésappariements de l’ADN (en anglais, Mismatch Repair) reconnait les mésappariements qu’il corrige avec efficacité. La protéine MutL en est un composant essentiel. Elle s'accumule sur l'ADN autour des mésappariements. Lorsqu’elle est fusionnée à une protéine fluorescente, les erreurs de réplication génèrent, dans la cellule, des foyers fluorescents. Les mutations, qui correspondent à des erreurs de réplication pour lesquelles la réparation n'a pas fonctionné, peuvent être identifiées car elles produisent des foyers fluorescents avec un temps de vie caractéristique.

Cette technique a été combinée à un dispositif microfluidique, c’est-à-dire un dispositif d’écoulement de liquides dans des canaux de taille micrométrique, qui permet de cultiver des bactéries dans des conditions compatibles avec l'observation des cellules individuelles vivantes en microscopie.

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