Une demi-vie de dissipation de 5 ans pour le chlordécone dans les sols des Antilles françaises est-elle pertinente ?

Un consortium de chercheurs impliquant plusieurs organismes de recherche* dont Pierre-Loïc Saaidi, enseignant-chercheur de l'Université d'Évry, questionne au travers d'une publication parue dans le journal Environmental Pollution les conclusions d'une précédente étude sur la durée de contamination des sols à la chlordécone.

 

* Université d'Évry Paris-Saclay, CEA-Jacob/Genoscope & LSCE,  INRAE, IRD, Université de Strasbourg, Université de Lorraine, CUFR de Mayotte

Vers une fin de contamination des sols agricoles en 2050-2070 ?

En 2022, une étude visant à prédire le devenir de la chlordécone dans les sols agricoles des Antilles a été publiée (Comte et al Environ Poll. 2022). Ses auteurs revisitent le modèle proposé par Cabidoche et al. (2009), qui est communément admis dans la communauté scientifique et qui prédit des durées de contamination en chlordécone allant de plusieurs dizaines d'années à plusieurs siècles selon les types de sols antillais. Comte et al. (2022) concluent à une estimation du temps de demi-vie de la chlordécone de 5 ans seulement pour l'ensemble des types de sols.

Cette valeur signifie que, tous les cinq ans, la concentration de chlordécone serait divisée par deux dans les sols, laissant entrevoir une concentration de chlordécone sous le seuil de détection à l'horizon 2050-2070. Cela signifierait ainsi une fin de contamination des sols agricoles beaucoup plus rapide qu'estimé précédemment. Ce résultat, s'il était confirmé, serait de nature à donner de nouvelles perspectives en matière de gestion de la contamination des milieux agricoles. En effet, une estimation fine du temps de demi-vie de la chlordécone fait partie des informations primordiales pour prédire et gérer l'évolution de cette pollution historique. 

Des chercheurs du CEA, de l'Université d'Évry Paris-Saclay, d'INRAE, de l'IRD, du BRGM, de l'Université de Strasbourg, de l'Université de Lorraine et du Centre Universitaire (CUFR) de Mayotte, questionnent cette évaluation d'une demi-vie de la chlordécone de cinq ans seulement. Le résultat de leur analyse critique est paru récemment dans le journal Environmental Pollution.

Pas si simple : plusieurs biais scientifiques dans cette étude en fragilisent les conclusions !

Sur la base qu'une demi-vie de cinq ans est trop courte pour expliquer l'ampleur de la pollution observée aujourd'hui encore dans les sols agricoles, 30 ans après l'interdiction de ce pesticide. Ce consortium de chercheurs mené par Pierre-Loïc Saaidi (UMR Génomique Métabolique) a réexaminé les protocoles de prélèvement, les méthodes d'analyse, les données utilisées, les hypothèses appliquées et l'approche de modélisation développée dans l'étude de Comte et al. (2022).

Cet examen a permis de soulever plusieurs biais scientifiques dans l'étude de Comte et al., qui en fragilisent les conclusions. A l'appui de leur démarche, les chercheurs ont repris les estimations des quantités de chlordécone épandues sur les sols agricoles entre les années 1972 et 1993, et ont simulé l'évolution des concentrations du pesticide dans les sols en utilisant le modèle développé par Comte et al. et en supposant une durée de demi-vie de 5 ans de la chlordécone. Les prédictions de concentrations dans les sols ainsi obtenues pour les années 2000-2020 sont très nettement inférieures à celles réellement retrouvées dans les sols sur cette période.

Ils concluent donc que l'hypothèse d'une durée de contamination « longue », largement supérieure à une durée de demi-vie de cinq ans, doit être privilégiée. En complément de cette analyse, ils formulent aussi une liste de recommandations pour améliorer la fiabilité des données qui alimenteront les futurs modèles prédictifs du devenir de la chlordécone dans les sols antillais.

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