Cyprien Verseux : Un hiver antarctique

Cyprien Verseux, astrobiologiste diplômé du Master mSSB de l’Université d’Évry, avait déjà participé à une expérience hors du commun pour la NASA qui reproduisait les conditions d’une mission sur Mars.

Après cette expérience, c’est dans un autre décor qu’il a évolué : l’Antarctique. En tant que Chef de base et glaciologue, sa mission était double : assurer l’ordre au sein de la base Concordia et récolter des échantillons de glace.

À l’occasion de la sortie de son livre « Un Hiver Antarctique », le 17 octobre, il répond à nos questions et partage avec nous cette nouvelle expérience tout aussi incroyable. Vous retrouverez l’interview complète en fin d’article.

Un environnement hostile et reculé

« Les températures peuvent descendre en-dessous de -80°C, les nuits et les jours peuvent durer des mois d’affilée, l’air est extrêmement sec, le manque d’oxygène rend la respiration difficile et, quoi qu’il arrive, nous n’avions pas la possibilité d’être évacués ni rejoints pendant les neuf mois d’hivernage » nous indique CYPRIEN VERSEUX évoquant l’environnement hostile et l’isolement dans lequel il a été immergé pendant sa mission.

Interview

1°/ Pourriez-vous nous expliquer quel était votre rôle dans cette mission en Antarctique ?

J’y étais glaciologue et travaillais sur différents projets de recherche qui aideront, par exemple, à mieux connaître le climat tel qu’il était par le passé et à mieux évaluer son futur probable. J’étais également le chef de base et dirigeais l’équipage de treize personnes.

 

2°/ Quel était l'objectif général de la mission ?

L’objectif était scientifique : l’environnement unique de Concordia est une aubaine pour des chercheurs de différents domaines. L’un de mes coéquipiers travaillait par exemple sur des projets d’astronomie qui tirent avantage du ciel dégagé, de la fine atmosphère, de la longue nuit polaire et de l’absence de lumière artificielle. Une autre, médecin-chercheure, travaillait pour l’Agence Spatiale Européenne : elle évaluait notre adaptation à cet environnement extrême, physiologiquement comme psychologiquement, en vue de futurs séjours en dehors de la Terre. Deux d’entre nous menaient des recherches en glaciologie : la neige vierge et l’absence de pollution en font un endroit rêvé pour ce domaine. D’autres étudiaient l’atmosphère, la météorologie, le magnétisme ou encore la sismologie. Cela dit, tous n’étaient pas chercheur : nous avions un médecin, une équipe technique, un cuisinier et un responsable informatique.

 

3°/ Avez-vous réalisé vos objectifs, rencontré des difficultés particulières ?

Nous avons rencontré diverses difficultés, ce qui n’est pas surprenant au vu des conditions : les températures peuvent descendre en-dessous de -80°C, les nuits et les jours peuvent durer des mois d’affilée, l’air est extrêmement sec, le manque d’oxygène rend la respiration difficile et, quoi qu’il arrive, nous n’avions pas la possibilité d’être évacués ni rejoints pendant les neuf mois d’hivernage.  Nous avons malgré tout réalisé nos objectifs, notamment la récolte de nombreuses données scientifiques dans divers domaines.

 

4°/ Comment avez-vous vécu vos responsabilités de Station Leader en milieu extrême ? Avez-vous dû faire face à des situations inconfortables/sensibles, comment les avez-vous géré ?

C’est un travail particulier. L’environnement  ̶  notamment la longue nuit polaire  ̶  affecte le mental des équipiers, qui typiquement ont déjà un caractère très marqué. Les outils normalement à disposition d’un chef, comme les moyens disciplinaires ou l’appui d’autres formes officielles d’autorité, manquent. La proximité constante nivelle les statuts et réduit la distance interpersonnelle utilisée par certains leaders pour maintenir leur autorité. La présence permanente dans la base complique encore les choses : je ne pouvais pas quitter mon rôle en rentrant chez moi, loin des regards, après une journée de travail.

Il n’y a malheureusement pas de manuel sur le sujet. J’ai lu ce que j’ai pu trouver – notamment le résultat des rares recherches sur la gestion d’équipiers en conditions extrêmes, et quelques récits pertinents – mais surtout appris sur place, en essayant de tirer les leçons de mes erreurs.

 

5°/ L'isolement que vous avez déjà vécu durant l'expérience pour la NASA  vous a t-il aidé dans votre mission en Antarctique ? Cet isolement était-il différent sur les deux missions ?

Les deux missions étaient très différentes, notamment à cause du froid, de la nuit polaire et des profils des équipiers. Cela dit, oui, mon expérience à HI-SEAS IV m’a beaucoup aidé. Lorsque je remarquais les difficultés qui affectaient certains équipiers, par exemple, elles étaient familières et je savais qu’elles passeraient.

 

6°/ Y a-t-il un lien entre votre formation à l'Université d'Évry et cette mission ?

Étrangement, oui. Les deux ont a priori peu en commun, mais la chaine de cause à effet qui m’a porté en Antarctique a commencé lors de mon master à l’Université d’Évry (le mSSB) : j’ai effectué mon stage à la NASA, qui a mené à un doctorat en astrobiologie, au cours duquel j’ai été recruté pour la mission HI-SEAS IV, laquelle m’a permis de participer à la mission DC14 en Antarctique.

 

7°/ Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire un livre ?

Un hiver à Concordia est une expérience extraordinaire : une dizaine de personnes isolées neuf mois dans un désert de glace, avec cent jours sans voir le soleil, des températures qui peuvent descendre sous les -80°C, différentes nationalités, des recherches uniques… Elle est souvent décrite (notamment par l’Agence spatiale européenne) comme ce qui se rapproche le plus d’une future mission dans une base extraterrestre. Pourtant, il n’existait aucun livre à ce sujet. J’ai donc décidé de l’écrire.

 

8°/ Quels sont vos projets pour la suite ?

Pour l’instant, je me consacre à la recherche en laboratoire. J’ai récemment fondé le Laboratoire de Microbiologie Spatiale Appliquée (au ZARM, Université de Brême), dont le but est de développer des technologies – basées sur la biologie – en soutien aux futures bases sur la Lune et sur Mars. 

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