Cyprien Verseux : fin de mission à la NASA

Clap de fin pour la mission HI-SEAS IV de la NASA. Après 365 jours passés à l’isolement dans un dôme hawaïen afin de simuler une mission vers Mars,Cyprien Verseux et ses cinq collègues scientifiques achèveront leur expérience dimanche 28 août 2016 à 21h (heure française). Diplômé en 2013 du Master 2 in Systems & Synthetic Biology de l’Université d’Evry, Cyprien Verseux est le seul Français à participer à l’expérience.

En utilisant ces scientifiques à la fois comme sujets et chercheurs, la NASA a étudié durant un an leurs performances, leurs interactions et la cohésion de l’équipe, tandis que chacun poursuivait les recherches propres à son domaine. Astrobiologiste, Cyprien VERSEUX avait pour mission de développer des supports de vie utilisables sur Mars.

A quelques jours de sa sortie, nous avons pu échanger avec lui par mail, son unique moyen de communication avec le monde extérieur. Retrouvez l’intégralité de son interview en fin d’article.

 

 « Ça marche ! » : succès scientifique

« Je voulais notamment voir si l’on pouvait utiliser des cyanobactéries pour transformer des éléments présents sur Mars en nutriments pour plantes afin de pouvoir cultiver ces dernières à partir de ressources locales. Et ça marche ! », se réjouit Cyprien VERSEUX, qui durant un an a dû s’adapter à ce laboratoire si particulier : « S’il me manquait quelque chose, je devais faire sans. J’ai dû bricoler du matériel et trouver des solutions originales ».

 

Ses principaux manques : l’absence de ses proches et le ‘changement’

Ce qui lui aura le plus manqué ce sont bien sûr ses proches, notamment lors des tragiques événements qui ont frappé la France cette année. Il nous confie avoir alors trouvé l’isolement extrêmement frustrant :

« Je ne recevais que très peu d’informations et ne pouvais qu’imaginer le reste », avant de conclure : « les événements qui affecteront le plus les astronautes sur Mars pourraient se produire sur Terre ».

Le ‘changement’ lui a également beaucoup manqué :

« Tous les bruits que j’entends, tout ce que je vois ou touche est extrêmement familier […] Mes premières semaines à l’extérieur seront particulièrement stimulantes »

 

L’avenir

 S’il a hâte de retrouver le monde extérieur, Cyprien VERSEUX n’a « pas vraiment le temps d’y réfléchir, tant il reste de choses à accomplir avant ». Il sortira néanmoins le cœur léger et satisfait :

« J’ai accompli ce que j’avais à accomplir. Le 28 août, je serai prêt à sortir ».

Il retournera alors à son doctorat sous la co-tutelle de la NASA et de l’Université de Rome Tor Vergata, et va continuer à travailler au développement de systèmes de survie biologiques pour l’exploration de Mars, mais aussi sur la recherche de la vie dans l’espace. Il va notamment analyser des échantillons de cyanobactéries rapportées sur Terre après des mois dans l’espace par la mission BIOMEX.

Nous lui souhaitons bon retour parmi nous.

 

 

INTERVIEW

Votre mission consistait à développer des supports de vie utilisables sur Mars en vue d’une mission future ; avez-vous réalisé vos objectifs ? avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Je voulais notamment voir si l’on pouvait utiliser des cyanobactéries (des microbes verts qui font de la photosynthèse) pour transformer des éléments présents sur Mars en nutriments pour plantes, afin de pouvoir cultiver ces dernières à partir de ressources locales. Et ça marche !

J’ai fait cela dans le cadre d’un projet de recherche appelé CyBLiSS (Cyanobacterium-Based Life-Support System).  L’enjeu est de rendre de futures bases sur Mars aussi indépendantes que possibles de la Terre, pour permettre des séjours de longue durée, voire des colonies permanentes.

Les plus grosses difficultés étaient le manque d’approvisionnement. S’il me manquait quelque chose, ou que je cassais quelque chose, je devais faire sans. J’ai dû bricoler du matériel et trouver des solutions originales à des problèmes que je n’aurais pas eus dans un laboratoire classique.

Maintenant, j’ai hâte d’attaquer les prochaines étapes. Les résultats obtenus dans le dôme ont fait naître de nouvelles idées. Mais comme je n’ai accès qu’à ce que j’ai emmené, ces idées doivent attendre mon retour à la civilisation. Ne pas pouvoir les faire sortir des feuilles griffonnées où elles vivent actuellement est un défi pour ma patience.

Vos performances et interactions avec l’équipe ont été analysées pendant un an ; quels ont été les résultats ?

Je ne peux pas annoncer ces résultats avant les chercheurs qui ont mené ces études, ce serait incorrect et prématuré.

Avez-vous par moments eu du mal à supporter la proximité, l’enfermement, la surveillance constante ?

Il y a eu des moments plus difficiles que d’autres, c’est vrai, mais rien d’insurmontable en ce qui me concerne. Je pense que c’est en grande partie grâce au fait que j’ai été constamment plongé dans des projets passionnants. Et quand je sentais que le moral baissait, j’allais courir sur le tapis de course ou jouer quelques accords au ukulélé.

Qu’est-ce qui vous manque le plus ? Qu’avez-vous hâte de retrouver ?

Mes proches. J’ai encore des souvenirs très vifs de mes derniers jours en France, notamment de mes derniers moments en famille et d’une nuit entre amis dans les rues de Paris. J’ai hâte de les retrouver.

En-dehors de mes proches, ce qui m’a le plus manqué est le changement. Ici, je suis toujours en intérieur, au même endroit et vois toujours les mêmes 5 personnes. Cela fait un an que je n’ai pas été exposé à l’air libre, à la pluie, au vent ou au soleil. Je ne sens plus l’odeur du dôme depuis longtemps (excepté quand quelqu’un vidange les toilettes sèches…), parce que j’y suis habitué. Tous les bruits que j’entends, tout ce que je vois ou touche, est extrêmement familier. Comparez ça à une balade dans une grande ville où, en quelques minutes, vous rencontrez des dizaines d’inconnus, des centaines objets que vous n’aviez jamais vu, et d’innombrables bruits que vous n’aviez jamais entendus et ne remarquez même pas… Mes premières semaines à l’extérieur seront extrêmement stimulantes. 

Redoutez-vous un peu votre sortie ? Quel sentiment prédomine ?

 La perspective de sortir du dôme est excitante. Ce n’est pas tellement que j’aie hâte de quitter le dôme, mais plutôt que j’ai hâte de retrouver le monde extérieur et ses surprises. Hâte de retrouver mes proches, de nager, d’être au soleil, de choisir un livre dans une librairie. Hâte d’offrir à mon frère un ukulélé hawaïen. Hâte de passer une nuit avec mes amis dans les rues de Paris à blaguer, faire des projets et se raconter nos vies. Hâte de n’avoir qu’à me lever pour sortir à l’air libre.

Cela dit, là, tout de suite, je n’ai pas vraiment le temps d’y réfléchir. Nous avons énormément de choses à faire cette semaine, entre les projets de recherche à terminer, les inventaires à dresser et le dôme à nettoyer. Mais j’ai accompli ce que j’avais à accomplir. Le 28 août, je serai prêt à sortir.

Quelle sera la suite ?

 Je vais retourner à mon doctorat, sous la tutelle de Lynn Rothschild (NASA) et Daniela Billi (Université de Rome Tor Vergata). Je vais continuer à travailler au développement de systèmes de survie biologiques pour l’exploration de Mars, mais aussi sur la recherche de la vie dans l’espace. Je vais notamment analyser des échantillons de cyanobactéries qui viennent de revenir sur Terre après des mois dans l’espace, dans le cadre d’un projet européen appelé BIOMEX (Biology and Mars Experiment)

Durant cette année que vous avez passée dans le dôme, de tragiques événements ont eu lieu en France ; qu’est-ce qu’on ressent quand on est à cet instant bloqué dans un dôme ?

 Lors d’événements tragiques, par exemple des attaques terroristes ou un proche dans le coma, il est extrêmement frustrant d’être isolé. Dans ce genre de situation je ne pouvais pas être présent pour mes proches, ni même leur téléphoner. Je ne recevais que très peu d’informations, via des e-mails retardés de 20 minutes, et ne pouvais qu’imaginer le reste.

Les événements qui affecteront le plus les astronautes sur Mars pourraient se produire sur Terre.

 

 

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