Mesurer la masse du proton grâce aux vibrations moléculaires

Des chercheurs de l’Université d’Évry et du Laboratoire Kastler Brossel ont participé à un projet qui a permis de déterminer de façon extrêmement précise la masse du proton par une nouvelle méthode utilisant la vibration d'une molécule. Ce résultat a permis de résoudre une énigme scientifique sur la valeur de cette masse, les mesures précédentes ayant donné des résultats contradictoires. L’équipe de chercheurs affine actuellement l'expérience ainsi que les calculs théoriques. Si un écart entre expérience et théorie est observé, cela pourrait être un indice de l’existence d’une « cinquième force » au-delà des quatre forces fondamentales actuellement connues.

 

Les calculs théoriques

La molécule la plus petite – donc la plus simple - est, à priori, la molécule d’hydrogène H2. On peut cependant la rendre encore plus simple en l’ionisant, par exemple en la bombardant avec des électrons. On obtient alors un « ion moléculaire » H2+, où un seul électron assure la liaison chimique entre deux noyaux (protons).

Grâce à cette simplicité, il est possible de calculer les propriétés de cette molécule avec une très grande précision, en utilisant la mécanique quantique – via la résolution de l’équation de Schrödinger, et une théorie plus avancée appelée « électrodynamique quantique ». Dans cette dernière, les interactions entre particules sont représentées par des échanges de photons. Cette théorie a quelque chose d’une "poupée russe" : les processus ou un seul photon est échangé donnent les effets les plus importants, puis ceux à deux photons donnent des corrections plus petites, et ainsi de suite. A chaque étape, on améliore la précision du calcul.

Les chercheurs de l'Université d'Évry et du LKB, en collaboration avec un chercheur de Dubna (Russie) sont ainsi parvenus à calculer la fréquence de vibration de la molécule avec une précision meilleure que 1 pour 100 milliards.

L'expérience

Pour tester ces prédictions théoriques, des chercheurs de la Vrije Universiteit (Amsterdam), en collaboration avec leurs collègues français et russe, ont mis au point une expérience tout aussi précise. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans la revue Science.

Dans cette expérience, les chercheurs ont mesuré par spectroscopie laser une fréquence de vibration de HD+, un isotope de H2+ où l’un des protons est remplacé par un deutéron (noyau d’hydrogène lourd) (Fig.1).

Pour atteindre une haute précision, les ions sont confinés, sous ultra-vide, dans un « piège à ions », système d’électrodes auxquelles on applique des champs électriques, et refroidis par l’intermédiaire d’ions atomiques refroidis par laser (voir Fig.2).

Figures

Figure 1. La molécule HD+. La zone rouge représente le nuage électronique (fonction d’onde de l’électron). La flèche symbolise les mouvements de vibration de la molécule, où la distance entre les deux noyaux oscille autour d’une certaine valeur d’équilibre. La fréquence de ces oscillations dépend de la masse des noyaux.

Figure 2. Image expérimentale d’ions béryllium (Be+) piégés et refroidis par laser à une température d’environ 0,01 degré au-dessus du zéro absolu. Ces ions sont visibles par une caméra sensible à l’ultraviolet car ils absorbent et réémettent constamment des photons d’un faisceau laser UV. L’équilibre entre le piégeage -qui incite les ions à se rapprocher du centre du piège- et la répulsion électrostatique entre ions conduit les ions à s’arranger en couches, dans une structure en forme de cigare. La zone horizontale sombre vers le centre de l’image indique la présence d’autres ions, ici des ions H2+ qui se sont refroidis en interagissant avec les ions Be+. C’est sur ces ions « invisibles » que l’on réalise la spectroscopie laser (image prise sur une expérience en cours au Laboratoire Kastler Brossel; l'expérience réalisée à Amsterdam sur HD+ utilise les mêmes méthodes)

Références

Proton-electron mass ratio from laser spectroscopy of HD+ at the part-per-trillion level

DOI: 10.1126/science.aba0453 

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