Des cellules magnétiques pour mieux concevoir, et comprendre des tissus musculaires humains

Des chercheurs de l’Institut Curie et du CNRS du laboratoire « Physique des cellules et cancer » (CNRS/Institut Curie/Sorbonne Université), en collaboration avec l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques (I-Stem - Inserm/AFM-Téléthon/Université Evry Paris-Saclay), ont développé une approche d’ingénierie tissulaire pour bio-imprimer magnétiquement et étirer des tissus musculaires en 3D « in situ », directement sur les cellules ciblées. Cette avancée technologique, dont les détails sont publiés dans Advanced Healthcare Materials, permet de mieux comprendre la biologie du muscle mais aussi, à terme, d’accélérer la production des modèles d’études pour tester de nouveaux traitements.

Contrairement à la culture cellulaire traditionnelle, la bio-impression permet d’assembler des tissus vivants en trois dimensions. Déjà utilisée en biomédecine, cette technologie donne également la possibilité de créer des modèles expérimentaux innovants pour approfondir la compréhension du corps humain ou des mécanismes à l’origine de certaines maladies, et tester de nouvelles approches thérapeutiques. Si les méthodes de bio-impression actuelles permettent de reproduire jusqu’à un certain point les tissus du corps humain, elles ne permettent en revanche pas de les « manipuler » directement, au risque d’altérer leur forme et leur fonction, ce qui limite leur observation fine.


Pour répondre à cette problématique, Noam Demri, qui vient de terminer son doctorat sous la direction de Claire Wilhelm et Stéphanie Descroix, directrices de recherche CNRS dans le laboratoire « Physique des cellules et cancer » (CNRS/Institut Curie/Sorbonne Univ), a mis au point une approche novatrice de bio-impression grâce à des nanoparticules magnétiques. Ces sortes de « billes magnétiques », de seulement quelques nanomètres, peuvent rentrer à l’intérieur des cellules pour les rendre magnétiques et guider ultérieurement la formation de muscle en 3D. À l’aide d’un motif magnétique en forme de « clé à molette », les cellules musculaires de modèles murins rendues « magnétiques », utilisées en première étude, peuvent rapidement être assemblées en un tissu cohésif ayant lui-même cette forme géométrique. L’équipe a ainsi pu obtenir un petit muscle en 3D beaucoup plus rapidement qu’avec les méthodes classiques. Autre force de cette approche inédite : la conservation de l’élasticité de la fibre musculaire. En effet, les techniques actuelles ne permettent pas d’étirer un tissu musculaire sans le détériorer. La force magnétique qui lie les cellules entre elles permet d’observer et de comprendre l’activité et les caractéristiques des fibres musculaires.

Procédure d’attractivité magnétique pour clipser un tissu sur deux aiguilles afin de le manipuler facilement.

Le tissu musculaire bio-imprimé est étiré jusqu’à 100%.

Du modèle animal aux cellules humaines

Une fois la faisabilité démontrée avec des cellules animales, l’équipe de l’Institut Curie a fait appel à l’expertise de l’équipe Neuromusculaire, dirigée par Cécile Martinat au sein de l’unité mixte de recherche INSERM/Université Évry Paris-Saclay 861 intégrée à I-Stem. Lise Morizur, ingénieure dans cette équipe, a appliqué cette approche aux cellules musculaires dérivées de cellules souches pluripotentes induites (iPS) humaines. Ils ont ainsi pu étirer de 100%, pour la première fois, un tissu musculaire et ont constaté que cet étirement favorise et accélère de façon significative la maturation des cellules musculaires humaines, ainsi que leur fonctionnalité :

  • Une maturation plus importante : au contact de l’acétylcholine, un neurotransmetteur naturellement délivré par les motoneurones pour activer la contraction des muscles dans notre corps, les tissus ayant été étirés se contractent deux fois plus que ceux qui ne l’ont pas été.
  • Une régénération musculaire potentiellement amplifiée : l’étirement permet de doubler la présence de cellules « satellite-like », indispensables au développement et à la régénération du muscle.

Ces résultats ouvrent de grandes perspectives, offrant un outil prometteur non seulement pour mieux comprendre les maladies neuromusculaires, mais aussi pour tester de nouvelles approches thérapeutiques et évaluer des approches de thérapie cellulaire.

Nos résultats soulignent non seulement l’interdépendance fondamentale entre biologie et mécanique dans la formation musculaire, mais aussi le fort potentiel des technologies magnétiques pour l’avenir de l’ingénierie tissulaire. En effet, la versatilité de ces techniques magnétiques permettrait de concevoir des tissus musculaires plus complexes, plus proches de ceux présents dans le corps humain, et même d’envisager leur application à n’importe quel autre tissu vivant, ouvrant ainsi la voie vers une multitude de perspectives pour la recherche biomédicale.

Noam Demri

Maintenant que nous avons réussi cette preuve de concept, nous souhaitons appliquer cette approche avec des cellules de malades. Nous pouvons aussi envisager de l’utiliser avec des neurones moteurs pour étudier la jonction neuro-musculaire, voire y ajouter des éléments de vascularisation, pour obtenir un tissu complet. Enfin, on pourrait, à long terme, imaginer de transplanter des cellules “magnétisées” chez un être humain pour refaire du muscle …

Cecile Martinat

directrice de recherche de l’unité mixte de recherche INSERM/Université Évry Paris-Saclay 861 intégrée à I-Stem.

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