Mais ils sont aussi des clés de civilisation et permettent de comprendre les valeurs attachées à la chouette, aux fleurs, à l’olivier, aux Sirènes, aux coffres féminins, au métier à tisser ou au masque terrible de la Gorgone. Ils font revivre l’antiquité et nous permettent d’aborder, plus largement, la place des femmes, l’idéal masculin, le culte du corps, les symboles politiques ou la place de l’homme face aux dieux.
"Lexique des symboles de la mythologie grecque", par Sonia Darthou

Publié le :
25
nov. 2024
Sisyphe, cheval de Troie, labyrinthe… très présents dans notre culture et notre imaginaire, les symboles de la mythologie grecque reflètent un héritage qui nous "parle". Qu’ils représentent une image ou un objet, un être vivant ou un dieu, les symboles évoquent - par association d’idées – une expérience humaine intemporelle. Focus sur ces nombreux "signes" de la culture grecque avec Sonia Darthou, Maitre de conférence en histoire ancienne à l’Université Évry Paris-Saclay, à l’occasion de la publication de la 3ème édition de son ouvrage, « Lexique des symboles de la mythologie grecque » (« Que Sais-Je » n°4060, Presses universitaires de France, 2024)
Mme Darthou, pouvez-vous vous présenter ?
Sonia Darthou : Je suis historienne de l’Antiquité avec, comme spécialité, l’histoire des civilisations et des religions. Je travaille sur la pluralité des sources antiques notamment les sources littéraires et iconographiques, afin de revaloriser la place des images dans les études d’histoire. Je suis particulièrement attentive aux interactions entre mythe et histoire et j’essaie d’aborder la mythologie non comme un discours exclusivement ‘religieux’, mais comme une source historique, un discours culturel.
Quelles sont les nouveautés de cette 3ème édition ?
Cette troisième édition a été augmentée au terme d’une relecture complète. J’ai ainsi choisi d’actualiser la bibliographie, mais surtout d’étoffer certaines rubriques et d’insérer de nouvelles entrées pour aborder la signification d’autres symboles éclairés par des mythes.
Comment définissez-vous un symbole ?
Le terme symbole a, dans la culture grecque, une dimension matérielle car c’était un objet cassé en deux dont les parties étaient données aux personnes qui s’étaient engagées mutuellement. Ces deux parties de l’objet initial, pouvant être réunies, étaient alors le signe ou le ‘symbole’ de leur engagement. Puis, le symbole a pris une dimension plus abstraite car il vient à incarner la signification culturelle d’un objet, d’une pratique ou d’une figure. À l’image, les symboles tracent, dans les peintures ou les sculptures au musée, comme un chemin codé. Ils permettent évidemment de reconnaître les héros et les dieux : la grenade pour Aphrodite, le trident pour Poséidon, les ailes de la déesse Victoire, la peau de lion pour Héraclès, la foudre de Zeus.
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Dans quelle mesure les JO de cet été sont-ils un héritage de la culture grecque ?
Les Jeux olympiques qui se sont tenus à Paris en 2024 sont, malgré la distance, un parfait écho des JO antiques. Bien entendu, les disciplines ont évolué, tout comme la mixité des candidats et l’ouverture aux athlètes paralympiques. Mais ces Jeux ont parfaitement joué leur rôle de ‘rituel’ de civilisation. Ils ont rassemblé le monde autour des valeurs du sport qui sont en réalité des valeurs communes : l’excellence, la compétition, le dépassement de soi, le respect des règles. Comme les Jeux antiques qui faisaient converger, à Olympie, des athlètes venus de tout le territoire grec, ces Jeux ont réuni, dans les stades et par les images télévisées, des millions d’hommes et de femmes dans un partage d’émotions et de valeurs.
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En revanche, les ‘symboles’ attachés aux Jeux modernes ne sont pas antiques. La flamme olympique, par exemple, en tant symbole d’ouverture puis de relais, n’existait pas dans l’Antiquité, elle est apparue en 1928, à Amsterdam. Elle s’inspire néanmoins d’épreuves antiques, les courses aux flambeaux (les lampadédromies) qui faisaient partie du programme des concours athlétiques, notamment aux Grandes Panathénées d’Athènes.
Les anneaux olympiques sont, eux, purement modernes, puisque c’est Pierre de Coubertin qui, en 1913, élabore un drapeau orné de cinq anneaux de couleurs qui doivent symboliser un olympisme universel puisque ces couleurs -bleu, jaune, noir, vert et rouge- se retrouvent sur tous les drapeaux nationaux du monde.
Quant aux médailles et aux primes olympiques, elles sont, également, une invention moderne puisque les athlètes recevaient, outre la gloire, une simple couronne de feuillage en prix de victoire. Athènes se distinguait néanmoins dans ses prix, puisqu’elle offrait aux vainqueurs des épreuves des Grandes Panathénées des amphores produites spécialement pour l’occasion contenant de l’huile d’olive sacrée provenant des oliviers d’Athéna, la déesse politique de la cité. Ces amphores étaient peintes et affichaient, d’un côté, la représentation d’Athéna et, de l’autre, la discipline du vainqueur.
Les déesses et héroïnes sont très présentes dans ce lexique : comment caractériser la place des femmes dans la mythologie et la culture grecque ?
Bien entendu les dieux et les héros du panthéon grec sont à lire avec la société car ils ont une valeur de modélisation : ils créent des modèles, notamment des modèles de genre. Héraclès, le héros civilisateur qui éradique les monstres de la terre des hommes est un archétype masculin qui fait écho au destin du citoyen soldat qui défend la terre de sa cité face aux envahisseurs. Thésée, athlétique et guerrier, qui sauve Athènes du terrible Minotaure mais qui pose, aussi, les bases de la future démocratie, est un modèle pour les Athéniens. Ulysse, qui incarne la ruse dans l’épisode du cheval de Troie, exprime combien l’intelligence et la stratégie sont des qualités culturelles grecques face aux ennemis barbares réputés désordonnés, irréfléchis et orgueilleux.
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Mais les mythes nous informent également sur la place culturelle du féminin. Les mythes érotiques, construits sur des poursuites entre hommes et femmes, affichent combien les hommes sont en position de puissance dans la cité. Pandora, la première femme, expose le paradoxe du féminin qui conjugue beauté, désir mais qui fait aussi basculer l’humanité. Et qui est dès l’origine associée au mariage et au tissage. Quant à Pénélope, la sage et vertueuse épouse d’Ulysse, si elle est une figure de femme puissante, elle est aussi un idéal d’épouse et véhicule combien le genre féminin est, à nouveau, associé au mariage, à la maternité, au tissage et à l’espace domestique.
Pourquoi parler de mythologie et non de religion grecque ?
Ce sont deux notions très différentes. La religion grecque regroupe tout ce qui concerne le monde des dieux - leur place dans l’univers, la manière dont ils se sont ‘révélés’ aux hommes, mais aussi la manière dont les hommes communiquent avec les différentes divinités. La mythologie, qui découle du terme grec muthos (que l’on peut traduire par récit, parole formulée), regroupe, elle, tous les discours et images sur les figures divines, leur puissance et leur place dans le panthéon polythéiste : les poèmes, les hymnes, les monuments, sculptures et peintures. Ces mythes ont été, pour la plupart, mis en forme par les poètes à partir du VIIIe siècle avant notre ère, avant de se transmettre de bouche à oreille et de s’enrichir de génération en génération. Racontés aux enfants, exposés au théâtre, peints sur les vases ou utilisés comme argument par les orateurs, ces mythes sont la culture religieuse des Grecs et l’expression de leur rapport avec le divin.
Quels sont vos sujets de recherche et/ou projets de publications en cours ?
Je travaille sur les liens entre mythe et politique, notamment à travers les images. J’ai, par exemple, participé cette année à un ouvrage collectif sur Athènes* dans lequel j’analyse le sens du programme d’un monument peint sur l’agora, qui affiche, côte à côte, des batailles mythologiques (la Prise de Troie, le combat contre les Amazones) et des batailles historiques, notamment la célèbre bataille de Marathon qui donne la victoire aux Grecs face à l’empire Perse en 490 avant notre ère. Je finalise également une longue recherche sur la mise en image et la symbolique de la chouette, l’oiseau d’Athéna, qui se retrouve par centaines sur des vases mais aussi des objets plus politiques : des jetons de vote, des plaques de jurés, des vases de mesure, des décrets, des monnaies. Ces recherches permettent de montrer la porosité de la frontière entre mythe et politique et d’aborder comment la cité d’Athènes construit son identité avec des symboles qui relèvent de la mythologie.
* Sonia Darthou, « Les mythes, des fables ou des histoires politiques ? La Stoa Poikilè, un lieu de mémoire visuelle », in Nicolas Siron (éd.), Nouvelle histoire d'Athènes. La cité vue de l'Agora, Ve-IVe siècle av. J.-C., Paris, 2024.